Cela faisait déjà quelque jours que je marchais en direction de Jàrnsaxja. J'avais pris une semaine de congé rien que pour faire ce voyage, au cas où. Je suis prévenante, ça m'arrive. Ce genre d'occasions en vaut la peine en plus.
J'ai envoyé il y a des semaines de cela, une lettre à cette fameuse Viktoria, Meara de Jàrnsaxja. Pourquoi cela ? Parce que c'est amusant d'entendre des rumeurs sur cette personne, qui n'a pas l'air d'un enfant de cœur, et qui continue pourtant d'être aimée de son peuple en dirigeant cette partie d'Austri. J'avoue que c'est assez intrigant. Je voulais tout bêtement et naïvement me faire à la fois ma propre opinion d'elle en justifiant cela par l'écriture d'un livre relatant l'histoire des Meara de la région. Du coup, je suis un peu obligée de le faire, car c'est la seule et véritable excuse que j'ai pu pondre sans avoir droit à un regard suspicieux de la part du directeur.
Pardon d'être curieuse, vieille peau.
J'avançais bien cependant, me perdant parfois malgré le fait d'avoir une carte à portée de main, m'arrêtant quand cela était possible durant plusieurs jours. Il arrivait également que des passants me prennent dans leur charrette, souvent assez gentils, pour me faire avancer plus vite. Ainsi, j'arrivais très vite dans la région où je voulais désaltérer ma soif de curiosité.
Je devenais, petit à petit, un peu plus prudente, prenant le soin de m'habiller de vêtements pas trop propres non plus, juste au cas où. Là où j'vais, c'est pas le meilleur endroit du monde pour une voyageuse. Du coup, au lieu de me munir aujourd'hui de ma chemise blanche cassée et de ma jupe marron foncé m'arrivant aux genoux, ce qui fait vraiment très sérieux et professionnel, j'ai opté pour ma tenue des jours foireux, ainsi personne ne ferait attention à moi. Du coup, haut large aux couleurs bien dégueulasses par des tâches indélébiles -qui ne sent pas mauvais non plus- avec un pantalon plutôt agréable, vert kaki, en plus de chaussures qui tiennent bien aux pieds. Mes cheveux, quant à eux, je veille quand même à ce qu'ils soient coiffés. Pas emmêlés quoi, c'est le minimum.
J'entre dans Śahara, soucieuse de ne pas me faire remarquer, même perdue. Je tiens fermement le peu de bagage que je possède, me faufilant dans la foule telle un chat habile. J'aurai aimé en être un noir, pour la faire fuir. Il arrive qu'on me bouscule et ça m'énerve. Allez, on se calme et on cherche.
Dans sa lettre de réponse, la Meara sous le nom de Madame Nyström m'avait dit de nous rejoindre dans un endroit pas trop visible de la foule, au vu de son statut. Je comprenais tout à fait sa demande, cependant je ne savais pas du tout dans quel genre d’endroit je devais m’arrêter dans ce labyrinthe. J’avais tenté ne pas avoir l’air d’une étrangère, mais mes yeux rivées sur tous les recoins de la ville telle une gosse perdue dans sa nouvelle école démontrait bien que ce n’était pas le cas.
Je suis vraiment un sale boulet.
Je passais des heures à errer dans ce lieu à la fois insalubre et presque agréable. J’aimais certes le calme et la tranquillité d’Aleph, dans un sens, mais j’adorai ce qui sortait de l’ordinaire, du quotidien qui m’enfermait dans cette boucle ennuyeusement infernale. J’aimais voir ces têtes à la fois mécontentes et peu accueillantes, car j’avais enfin l’impression de découvrir un autre aspect de la nature humaine, sans ce masque sulfureux d’hypocrisie.
Je m’arrêtais alors un moment, épuisée par la marche continuelle. Que ce soit au milieu de la foule ou non, chaque lieu de cette ville avait l’air sans aucun once de sûreté.